La Journée mondiale de la liberté de presse adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies sous l’égide de l’UNESCO en 1993 est célébrée chaque 3 mai. Au Tchad, cette commémoration a pris une résonnance particulière cette année 2025.  

Alors que le monde entier réaffirme son engagement envers le droit fondamental à l’information et à la liberté d’expression, le Tchad, lui, se débat avec une réalité bien différente, marquée par la mise en détention de M. Olivier Monodji Mbaindiguim, directeur de publication de l’hebdomadaire Le Pays et correspondant local de la Radio France Internationale (RFI), M. Mahamat Saleh Hissein de l’Office national des médias audiovisuels (ONAMA) et M. Ndilyam Guekidata. La détention de ces confrères a provoqué une levée de bouclier de la part des organisations nationales, régionales et internationales de défense de la presse mais sans succès. Cette commémoration, loin d’être une simple formalité, se transforme en un cri d’alarme, un appel urgent à la défense des journalistes et à la protection du droit à l’information pour tous les citoyens tchadiens.

L’histoire de la liberté de presse au Tchad est jalonnée de défis et de combats.  Depuis l’indépendance, les journalistes ont constamment lutté pour un espace médiatique libre et indépendant, confrontés à des pressions politiques, des menaces, et des actes de violence. Si des progrès ont été enregistrés au fil des années, notamment avec l’émergence de médias privés et l’ouverture relative de l’espace médiatique, la situation reste fragile et précaire. Les dernières années ont été marquées par une recrudescence des atteintes à la liberté de la presse, alimentant un climat de peur et d’incertitude.

La dépendance de certains médias

L’un des principaux obstacles à la liberté de presse au Tchad est le manque d’indépendance de certains médias. De nombreux organes de presse sont directement ou indirectement liés au pouvoir politique, ce qui compromet leur objectivité et leur capacité à jouer pleinement leur rôle de chiens de garde de la démocratie. Cette dépendance financière et politique conduit à une autocensure, où les journalistes hésitent à aborder des sujets sensibles de peur de représailles. Ce phénomène est aggravé par un cadre juridique restrictif, qui prévoit des sanctions sévères pour les journalistes accusés de diffamation ou d’atteinte à la sécurité nationale.

Au plan économique : il y a l’incapacité des organes de presse privée par exemple à supporter leurs charges plaçant les journalistes qui y exercent dans une situation de précarité. Le manque de vrai soutien du gouvernement par l’exonération des taxes sur les intrants de production et le non versement régulier des subventions à la presse. Le musèlement de la presse au Tchad prend également des formes plus subtiles et insidieuses. L’accès à l’information est souvent entravé par des restrictions administratives, des pressions sur les sources, et des difficultés d’accès aux lieux publics. Les journalistes sont régulièrement confrontés à des obstacles bureaucratiques, des refus d’accréditation, et des intimidations de la part des autorités. Ce climat de suspicion et de méfiance envers les médias entrave le travail des journalistes et limite leur capacité à informer le public de manière objective et impartiale. Conséquences : publications de rumeurs, de fake et la désinformation.

L’impact de ces restrictions sur le droit à l’information est considérable. Les citoyens tchadiens sont privés d’un accès libre et transparent à l’information, ce qui les empêche de participer pleinement à la vie politique et sociale du pays.  L’absence d’une presse libre et indépendante entrave le débat public, limite le contrôle citoyen du pouvoir, et favorise l’opacité et la corruption. Dans un contexte où l’accès à l’information est crucial pour le développement démocratique et le progrès social, le musèlement de la presse représente un obstacle majeur au développement du Tchad.

Disposer des mécanismes de protection des journalistes

L’analyse approfondie de la situation de la liberté de presse au Tchad révèle un tableau complexe et préoccupant. Si la commémoration de la Journée mondiale de la liberté de presse est l’occasion de réaffirmer l’importance de ce droit fondamental, elle doit également servir de point de départ pour une réflexion critique sur les défis auxquels sont confrontés les journalistes tchadiens et sur les moyens de promouvoir un environnement médiatique plus libre et plus indépendant.  Il est urgent de mettre en place des mécanismes de protection des journalistes, de réformer le cadre juridique restrictif, et de promouvoir une culture de respect de la liberté d’expression. La lutte pour la liberté de presse au Tchad est un combat de longue haleine, qui exige la mobilisation de tous les acteurs concernés, des journalistes aux organisations de la société civile, en passant par les autorités gouvernementales et la communauté internationale.  Seule une action concertée et déterminée permettra de garantir le droit à l’information pour tous les citoyens tchadiens et de contribuer à la construction d’une société plus juste et plus démocratique.

Certes, il existe plusieurs organisations de défense de la liberté de presse au Tchad mais leurs actions sont très limitées à cause du manque de stratégie d’actions cohérentes.

Le respect des engagements internationaux, une exigence

La situation actuelle exige une action immédiate et concertée. Les organisations internationales de défense des droits de l’homme, les organisations de presse et les gouvernements partenaires doivent exercer une pression diplomatique sur le gouvernement tchadien pour qu’il respecte les engagements internationaux en matière de liberté de presse. Des sanctions ciblées contre les responsables de violations des droits des journalistes pourraient également être envisagées.  Parallèlement, il est essentiel de renforcer les capacités des journalistes tchadiens en matière de sécurité numérique et de protection juridique. Des formations spécifiques sur les techniques d’investigation journalistique, la protection des sources et la gestion des risques sont nécessaires pour leur permettre de travailler en toute sécurité et d’exercer leur métier sans crainte de représailles.

Enfin, il est crucial de promouvoir une culture de la liberté d’expression au sein de la société tchadienne. Des campagnes de sensibilisation auprès du grand public, des débats publics et des initiatives éducatives peuvent contribuer à faire prendre conscience de l’importance de la liberté de presse pour une société démocratique et prospère. La participation active de la société civile, des organisations de défense des droits de l’homme et des médias indépendants est essentielle pour faire pression sur les autorités et pour promouvoir un environnement médiatique plus favorable. La Journée mondiale de la liberté de presse doit être plus qu’une simple commémoration ; elle doit être un appel à l’action, un engagement renouvelé à défendre ce droit fondamental pour tous.  Le silence face aux restrictions de la liberté de presse au Tchad est inacceptable.  Il est temps de passer des paroles aux actes et de travailler ensemble pour garantir un avenir où les journalistes tchadiens pourront exercer leur métier librement et en toute sécurité, contribuant ainsi à une société plus éclairée et plus démocratique. L’avenir de la démocratie tchadienne dépend en grande partie de la liberté de la presse.

Dieudonné Pechene