Le Salon de la femme organisé dans le cadre de la Semaine nationale de la femme tchadienne a été clôturé sur fond de polémique. Une des 18 recommandations suggère que le domicile conjugal soit attribué à la femme et aux enfants en cas de divorce non motivé.
Après plus d’une semaine d’activités marquées par des panels, des tables-rondes et des expositions, le Salon de la femme tchadienne a été le point de convergence, non seulement des femmes mais aussi des grandes personnalités de la République. Les panels étaient riches en discussions sur des sujets qui concernent les droits des femmes. Objectivement, cette première édition a été une réussite sur le plan de l’organisation. Sur la forme. Le seul hic est le lieu choisi pour les activités. Un hôtel à plusieurs étoiles a accueilli l’évènement. Ce salon a été exclusif, critiquent certains. On a vu des ministres, des parlementaires et autres personnalités des institutions de la République faire leur passage dans une sorte de « M’avez-vous vu ? ». Bref, c’était loin des SENAFET populaires où les femmes de toutes les couches sociales pouvaient participer. Maintenant sur le fond. Dès les premiers panels, on a pressenti qu’une polémique pouvait naître en raison notamment des prises de position de certaines personnalités politiques, qui semble-t-il, ont profité de la tribune de ce salon pour une opération de séduction aux fins de soigner leur image personnelle. On a entendu un ancien ministre conseiller au ministre de la femme d’appliquer au Tchad une mesure en vigueur dans un pays voisin : lorsqu’il y a divorce, c’est le mari qui quitte la maison, non la femme. Depuis cette communication, on sentait que d’une manière ou d’une autre, ce salon allait déboucher sur quelque chose d’inattendue. Comme par hasard, parmi les 18 recommandations émises par les participants au salon, il y a une qui suggère que le domicile conjugal soit attribué à la femme et aux enfants en cas de divorce non motivé. La polémique est allée, s’amplifiant.
La ministre de la femme a dû s’exprimer sur le sujet
Face au tollé, la ministre d’Etat, ministre de la femme et de la petite enfance, Mme Amina Priscille Longoh a dû réagir. Tout en rappelant qu’une recommandation n’est pas une loi, ni un projet de loi, elle prend position pour la femme. Elle invite à dépassionner le débat et à réfléchir sur la « paternité positive ». En effet, selon elle, « S’il existe des pères de famille responsables qui assurent un minimum de protection à leurs enfants, certains peut être par obligation religieuse, il y’a bon nombre de pères irresponsables qui trouvent le sommeil paisible aux côtés d’une nouvelle épouse alors que leurs enfants sont sans abris…Le vrai débat qui se pose ici est sur la responsabilité et la parentalité positive…. Si sur les 18 recommandations, une seule suscite autant de débat contradictoire, c’est que c’est déjà bien », estime Amina Priscille Longoh sur sa page Facebook. Depuis, elle est l’objet de toutes sortes critiques comme si la recommandation venait d’elle ou de son ministère.
Quels enseignements ?
Le premier enseignement est un constat que nous faisons tous les jours : les hommes peuvent écouter le même message mais le comprendre et l’interpréter différemment. Nous sommes dans ce cas de figure. Les Tchadiens sont intelligents. Ils savent qu’une recommandation n’est pas une loi. Mais on comprend leur crainte. Une simple recommandation peut inspirer un projet de loi qui peut atterrir à l’Assemblée nationale qui risque de voter et l’adopter sans discussion objective. Les réactions que nous lisons sur les réseaux sociaux visent à tuer dans l’œuf un tel projet s’il devait être formulé. Deuxième enseignement, nous disons ceci : si seulement les paroles bibliques pouvaient « ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Mc 10, 2-16), le débat sur l’héritage de la maison après un divorce n’aurait pas sa raison d’être. Personne ne se marie pour divorcer. Le mariage c’est pour la vie. Le troisième enseignement est le suivant : si la recommandation d’attribuer le domicile conjugal à la femme et aux enfants en cas de divorce non motivé venait à être adopté comme une loi, les conséquences seraient improbables et fâcheuses. La justice serait fortement sollicitée. Et peut-être serait obligée de renvoyer certains couples en instance de divorce vers les responsables religieux pour faire l’arbitrage, tant certaines alliances sont plus des concubinages que des mariages légaux selon les lois de la République ou les lois des religions. Voilà pourquoi, l’appel de l’abbé Madou Simon-Pierre nous paraît pertinent : « l’autorité des Chefferies traditionnelles, la Conférence Épiscopale du Tchad, l’EEMET et le CSAI sont vivement interpellés à sauver ce qui reste de nos familles ! Un autre désordre, de plus, va s’installer au cœur de la vie : la dignité de la famille est menacée ! Aucun père, aucune mère ne se marient pour volontairement divorcer et faire souffrir leurs propres enfants !», a-t-il écrit. Les autorités morales ne doivent pas rester neutres sur ce sujet sensible, car elles seront les derniers recours pour des possibles arbitrages à l’amiable selon les lois divines auxquelles tout croyant s’efforce de se soumettre. Que leurs voix se fassent aussi entendre !
Pierre Boubane
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