Le cimetière de Farcha dans le premier arrondissement est saturé depuis plusieurs années. Mais la population continue de l’utiliser au point de le transformer en fosse commune.

« Nous creusons la tombe ici parce que là-bas, on est tombé sur des ossements « , explique un fossoyeur, indiquant le trou fermé. En une fin de matinée venteuse d’un vendredi, deux groupes de fossoyeurs creusent des tombes. Les barres à mine s’enfoncent, les pelles jettent hors des fosses de l’argile compact. Les deux fosses, « on s’est tracassé pour les avoir », renseignent les jeunes. En effet, après creusé la sépulture, le premier groupe de fossoyeurs a exhumé des ossements. De peur de déterrer d’autres restes, la nouvelle tombe est creusée dans une allée. Et même à plus d’un mètre de profondeur, les fossoyeurs craignent toujours trouver un autre cadavre. « Tant pis ! Nous allons les enterrer à côté et continuer à creuser la tombe », annonce en chœur l’autre groupe de fossoyeurs. Cette pratique semble d’ailleurs courante. On « déterre régulièrement des cadavres pour enterrer d’autres à la place », assurent un instituteur et un militaire habitant le 1er arrondissement.

La mairie crie à l’aide

« Nous avons écrit au ministère de la Santé sollicitant des ambulances pour les transformer en corbillard, afin d’aider les gens à emmener les corps à Toukra », informe le maire de la commune du 1er arrondissement, Djibrine Mahamat Abdelkérim. Malheureusement, le ministère n’a pas répondu « favorablement ». La mairie a par conséquent transformé un minibus en corbillard qui transporte parfois plusieurs macchabées simultanément. « Un jour, on a pris deux corps de familles différentes pour emmener au cimetière de Toukra « , se remémore le maire du 1er arrondissement.

Pour soulager une telle souffrance, Djibrine Mahamat Abdelkérim sollicite du ministère de l’aménagement du territoire l’octroi d’un espace périurbain pour « un cimetière, surtout chrétien ». En attendant l’octroi, les risques sanitaires liés à l’exhumation des cadavres au cimetière de Farcha sont réels. « Si vous touchez aux restes d’un cadavre d’un malade du charbon, même cent ans après, c’est dangereux », avise le maire. « Le risque, qu’il soit infectieux ou toxique, est là », confirme DrToudjingar Félicien, médecin légiste au CHU La Renaissance. « Que ce soit les bactéries ou les virus, certains peuvent se mettre en mode quiescent et quand on déterre le corps, ils peuvent se remettre en vie et devenir pathogènes », explique le médecin.

Outre les risques pathologiques, l’exhumation pose des problèmes éthiques. « Notre conscience, nos religions ne permettent pas cela », confie Félicien Toudjingar. Mathurin habitant le quartier Habbena semble un témoin. Il se remémore constamment l’exhumation des ossements il y a quelques mois. Ce jour-là, le trentenaire jure avoir enfoncé sa pioche dans le crâne d’un cadavre partiellement putréfié. Pour oublier la lugubre séance, « on lui avait conseillé la prise de tramadol et du jus de bissap ». Les comprimés l’ont malheureusement anesthésié « quasiment deux jours ». Le souvenir lui,  revenait à la vue d’une tombe.

Masrambaye Blaise