Sarah Al-Matary, dans son livre intitulé, La haine des clercs. L’anti-intellectualisme en France, publié en 2019, décrit l’animosité ressentie envers les intellectuels. Pour bien des raisons !
Dans ce livre, l’universitaire lyonnaise, Sarah Al-Matary, désigne par clercs les intellectuels paternalistes au pouvoir dominant. La haine du « peuple d’en bas » s’oriente vers ceux-ci. A des fins politiques, les intellectuels utilisent « le capital d’autorité » qu’ils ont acquis dans leur domaine de spécialité pour s’ériger en donneurs de leçons. Le peuple veut se libérer de leur dogmatisme. Il refuse tout paternalisme. Le phénomène « n’est pas nouveau », écrit Sarah Al-Matary. En effet, de « Pierre-Joseph Proudhon [1809-1865], père de l’anarchisme, à Alain Soral [1958-…], la haine des intellectuels s’inscrit dans la longue histoire de la France », fait remarquer Al-Matary.
Si l’on s’éloigne de la problématique française analysée par Al-Matary, nous réalisons que le refus du paternalisme d’une certaine élite intellectuelle est aujourd’hui en vogue dans, presque, tous les pays du monde et pas seulement en France.
Lorsque Sarah Al-Matary parle d’intellectuels ou encore d’intellectualisme, elle pense en premier aux enseignants-chercheurs, à ceux qui exercent des activités intellectuelles. Toutefois, dans son livre elle reconnaît que le terme intellectualisme ou intellectualiste s’applique aux rhéteurs, mais également à la prétention de ceux qui pensent être des « professionnels du discours », prêts à parler pour les autres. Les autres, ce sont les « manuels », les ouvriers, les illettrés, etc. Cet intellectualisme s’oppose à l’anti-intellectualisme. Le Larousse définit l’anti-intellectualisme comme le « refus de reconnaître la prééminence de l’intelligence et la valeur des sciences ». Autrement dit, il cherche à « rabaisser » la valeur de l’intelligence pure en « exaltant » plutôt la sensibilité, l’imagination et l’intuition. Cependant, l’universitaire lyonnaise prévient que l’anti-intellectualisme n’est pas l’irrationalisme, car les anti-intellectuels ne nient pas la valeur de la raison. Bien au contraire.
L’année 1789 marque le début de la Révolution française. Dans l’ambiance des manifestations, les révolutionnaires pensent à l’éducation du peuple.
Afin de parachever la révolution, le peuple doit savoir lire la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il faut mettre en place une pédagogie républicaine pour atteindre cet objectif. Qui va s’en charger ? Les regards se tournent vers les intellectuels. On assiste alors à l’émergence d’un « porte-parolat ». Très vite le manque de considération dont la masse populaire se dit être victime entraîne une méfiance des « manuels » à l’égard des intellectuels. C’est les débuts de l’anti-intellectualisme. Mais, selon Al-Matary, le phénomène commence déjà sur les bancs de l’école et dans les cours de récréation. Les élèves qui préfèrent lire en solitaire sont « ostracisés » par ceux qui jouent au ballon. Au fil des siècles, ce clivage atteint les autres sphères de la société dont le monde du travail : les lettrés en premier mépriseraient les ouvriers ; ces derniers, en réponse, nourriraient une haine contre les lettrés. Il est évidement difficile d’être formel sur ce lien marqué par le mépris réciproque. Car c’est de l’ordre de l’émotion et du ressenti. En tout état de cause, la conviction des ouvriers est que la société ne peut être transformée par des discours stériles, mais par des actions concrètes. Alors ils proclament : « A bas la pensée ! Vive l’action ! ».
Ce clivage se glisse sur le champ politique, un phénomène qu’on observe même chez nous…
Qu’une élite intellectuelle parle et décide au nom de tous est de moins en moins tolérée par la masse. Mais peut-il en être autrement ? La règle selon laquelle, personne n’est chef ; tout le monde est chef ne fonctionnera jamais, car il faut des leaders pour diriger la masse. Les ouvriers en sont bien conscients. Sur le plan politique, par exemple, ils réclament des gouvernants, non seulement le respect et la considération, mais aussi des actes concrets qui réduisent le coût de la vie des citoyens modestes. En somme, ces peuples souhaitent être dirigés par des défenseurs des valeurs de la dignité humaine. Car comme l’a fait remarquer un internaute : « on était tous des humains avant que la race nous déconnecte, la politique nous divise et la richesse nous classe ». Cette réflexion de l’internaute semble être confirmée par la réaction de certains analystes et commentateurs de la vie politique de notre pays. La nouvelle Assemblée nationale est taxée d’être remplie par des analphabètes. On se rappelle également des propos de Tchadiens qui s’inquiétaient de l’arrivée au pouvoir des docteurs. Une fois qu’ils prendront le pouvoir dans ce pays, ils vont tous nous renvoyer au village paitre nos bœufs, ironisaient certains. Le clivage intellectuel-manuel reste d’actualité partout, y compris dans nos sociétés. Notre profonde conviction qu’une nation comme la nôtre a besoin à la fois des intellectuels (professeurs, enseignants, médecins…) et des manuels (les artisans, les maçons, etc.) pour bâtir le Tchad prospère de nos rêves.
Pierre Boubane
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