Depuis 1996, le Tchad cherche la voie de la gestion de sa politique locale. La nouvelle réforme sur la décentralisation adoptée en juillet 2024 accorde aux Collectivités Autonomes des domaines de compétences spécifiques. De même, elle énumère leurs recettes parmi lesquelles les produits domaniaux. Cette attribution budgétaire n’a pas de consistance au regard de la loi foncière en vigueur.

23 Provinces et 500 Communes, dont 125 Communes urbaines et 375 Communes rurales. C’est le nombre des Collectivités reconnues qu Tchad. Selon l’article 267 de la Constitution de 2023, “Tout transfert de compétences entre l’Etat et les Collectivités Autonomes s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice”. L’article 268 ajoute que:”toute création ou extension de compétences ayant pour conséquences d’augmenter les dépenses des Collectivités Autonomes est accompagnée de ressources”. Ces ressources sont constituées en partie par les revenus du patrimoine. Les taxes et les plus values liées aux biens immobiliers de ces personnes publiques locales relèvent de ces revenus. Si le gouvernement croit respecter l’autonomie financière des Collectivités Provinciales et Communales, la réalité de leur domaine laisse plus un dubitatif. Pour deux raisons.

Première raison: pour l’heure, aucune disposition de la loi domaniale ne consacre le domaine public et privé des Collectivités Autonomes. Seuls l’Etat et les Etablissements Publics ont un domaine, aux termes de l’article 1er de la loi 023 du 22  juillet 1967 portant statut des biens domaniaux: “l’ensemble des biens appartenant à l’Etat prend le nom de « Domaine National ». Le Domaine national se compose d’un domaine public et d’un domaine privé. Les personnes morales de droit public subordonnées à l’Etat et possédant l’autonomie financière, peuvent également posséder un domaine public et un domaine privé.” Aucune mention n’est faite des Collectivités Autonomes parce que cette loi est entrée en vigueur des années avant l’enclenchement du processus de la decentralisation. Juridiquement, elles ne sont pas liées à l’Etat par un lien hiérarchique, à l’exemple des établissements publics. Ce manque de consécration domaniale réduit la capacité des Collectivités à assurer leur mission de service public et gérer la fonction publique locale.

Deuxième raison: Les règles d’affectation des biens de certaines personnes publiques à d’autres n’est pas claire. L’Etat qui en a le pouvoir. C’est ce qui ressort de l’article 15 de la loi de 1967:” L’Etat peut affecter ses biens à des personnes morales de droit public. Il peut également transférer un bien domanial d’une personne morale de droit public à une autre, moyennant indemnité s’il a été acquis sur le budget de son premier propriétaire. En pareil cas, l’opération fait toujours l’objet d’un décret en conseil des ministres, qu’il s’agisse d’un meuble ou d’un immeuble.” Mais les modalités pratiques ne sont pas encore précisées. Une affectation en l’état actuel de la legislation foncière et domaniale, sans critères, ne garantie pas la transparence.

Réforme necessaire

La première experience de la décentralisation entre 2012 et 2024 revèle des difficultés financières majeures dans les 44 communes pilotes. “L’Etat prend des textes pour attribuer les pôles de compétences sans garantir les ressources nécessaires pour le fonctionnement des communes déjà pourvues des élues. Beaucoup des collectivités territoriales décentralisées ne maîtrisent pas leur potentiel fiscal et ne disposent pas d’un plan de développement local propre à leur population, parce qu’il y a transfert des compétences sans le transfert des ressources”, renseigne Annaim Oumar Abderrahman, Secrétaire Général de l’Association Nationale des Communes du Tchad. Pour un pays qui n’arrive pas à réaliser une bonne croissance non pétrolière, la solution à court terme doit être la mobilisation massive des ressources foncières. Elles sont les plus consistantes après la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), et loin devant l’Impôt sur les Revenus des Personnes Physiques (IRPP) et l’Impôt sur les Sociétés (IS). Elles sont durables et ne compromettent pas la croissance économique comme les autres impôts.

Cet enjeu et bien d’autres ont amené le ministère en charge de l’aménagement du territoire à ouvrir pour la première fois, un processus d’élaboration du Code foncier qui devrait prendre en compte la propriété foncière privé, ses limitations et le domaine des personnes publiques. Dans un premier temps, le projet de code, passé à l’Assemblée Nationale a consacré uniquement la domanialité de l’Etat. Face aux critiques, le gouvernement a associé à l’Etat les Collectivités Territoriales. Malheureseument, le projet n’a pas abouti à cause des bouleversements constitutionnels dont la réfonte totale des institutions de l’Etat en 2018 et de la transition politique suite à la mort du Président Idriss Déby Itno en 2021. Le transfert des produits domaniaux de l’Etat vers les Collectivités Autonomes n’aura de sens que si cette foncière réussie.

Succès Ngarpolo