Beaucoup de jeunes porteurs de projets cherchent à se lancer dans la création des entreprises. Malheureusement, les méandres de ce secteur ne sont pas connus. Dans une interview exclusive accordée à la revue tchadculture.com, Me Adamou Zouadai, Notaire explique les conditions de création d’une entreprise tout en soulignant la nécessité de solliciter les services des professionnels de droit pour une véritable promotion du droit OHADA au Tchad.

Tchad et Culture : Qu’est-ce qu’une société commerciale

Me Adamou Zouadai : Merci, je profite de votre micro pour faire la distinction entre une société commerciale et une entreprise individuelle ou établissement. La Société Commerciale selon l’Acte Uniforme relatif au Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Économique (AUSCGIE) de l’OHADA, dans son article 4 alinea 1 est une personne morale constituée par un contrat entre deux ou plusieurs personnes, appelées associés. Ces associés conviennent de mettre en commun leurs biens, leurs compétences ou leur capital à l’effet d’exercer une activité commerciale en vue de partager les bénéfices ou les économies qui en résultent.

Les principales caractéristiques sont la personnalité juridique distincte.  La société a une existence juridique distincte de celle de ses associés, ce qui signifie qu’elle peut posséder des biens, conclure des contrats, et ester en justice en son propre nom. S’agissant de la Responsabilité limitée, dans la plupart des formes de sociétés (comme la SARL ou la SA), la responsabilité des associés ou des actionnaires est limitée à leurs apports. Il y a aussi le capital social. La société dispose d’un capital social constitué par les apports des associés ou des actionnaires, qui est utilisé pour financer ses activités.

Quant à l’Entreprise Individuelle, c’est un établissement, où une seule personne physique, appelée entrepreneur individuel, exerce une activité commerciale, industrielle, artisanale ou agricole. Contrairement à une société, l’entreprise individuelle n’a pas de personnalité juridique distincte de celle de l’entrepreneur. C’est à dire l’entreprise individuelle ne se distingue pas juridiquement de l’entrepreneur lui-même. Les biens personnels de l’entrepreneur peuvent être engagés en cas de dettes professionnelles.

La Responsabilité illimitée, c’est le fait que l’entrepreneur est personnellement responsable des dettes de son entreprise, sans limite. Dans ce sillage, il n’y a pas de capital social à constituer, et l’entrepreneur utilise ses propres fonds pour financer l’activité.

En résumé, la société est une personne morale distincte de ses associés, tandis que l’entreprise individuelle ne l’est pas.

T&C : Quelles sont les types de société commerciale selon AUSCGIE ?

Me A.Z: Selon l’AUSCGIE, les sociétés peuvent être classées en deux catégories principales, bien que la classification ne soit pas absolue en raison du caractère hybride de la SARL et du défaut de personnalité morale de la Société en participation. Ainsi, on distingue les sociétés de personnes ou « les sociétés à risque limité » et les sociétés de capitaux ou « Les sociétés à risques illimités »

Dans la catégorie des sociétés des personnes ou encore les sociétés à risque illimité nous avons : La société en nom collectif (articles 270 à 292). Elle est définie par l’AUSCGIE comme « celle dans laquelle tous les associés sont commerçants et répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales ». La société en commandite simple (articles 293 à 308) est définie par l’AUSCGIE comme « celle dans laquelle coexistent un ou plusieurs associés indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales dénommés « associés commandités » avec un ou plusieurs associés responsables des dettes sociales dans la limite de leurs apports, dénommés « associés commanditaires » ou « associés en commandite », et dont le capital est divisé en parts sociales ».

Dans la catégorie des sociétés des capitaux ou encore les sociétés à risque limité nous avons la Société à responsabilité limitée (Articles 309 à 384) Selon l’article 309 de l’AUSCGIE, la SARL est une société dans laquelle les associés ne sont responsables des dettes sociales qu’à concurrence de leurs apports et dont les droits sont représentés par des parts sociales. Elle peut être instituée par une personne physique ou morale ou entre deux ou plusieurs personnes physiques ou morales.

Le nombre d’associés est de 2 au minimum, le maximum étant illimité. Elle est dirigée par un gérant.

La Société anonyme (Articles 385 à 853-23) est une société dans laquelle les actionnaires ne sont responsables des dettes sociales qu’à concurrence de leurs apports et dont les droits sont représentés par des actions (article 385). Elle peut ne comprendre qu’un seul actionnaire. On parle de société anonyme unipersonnelle. Elle est alors dirigée nécessairement par un Administrateur Général.

La Société par actions simplifiée (Articles 853-1 à 853-23). L’article 853-1 définit de la SAS comme suit : « La société par actions simplifiée est une société instituée par un ou plusieurs associés et dont les statuts prévoient librement l’organisation et le fonctionnement de la société sous réserve des règles impératives du présent livre. Les associés de la société par actions simplifiée ne sont responsables des dettes sociales qu’à concurrence de leurs apports et leurs droits sont représentés par des actions ».

T&C : Quelle est la nature juridique des sociétés commerciales ?

Me A.Z : La nature juridique des sociétés commerciales se caractérise par leur statut de personne morale, la séparation de leur patrimoine de celui des associés, la limitation ou non de la responsabilité des associés, leur but lucratif, et leur régulation par des textes juridiques précis. Ces éléments permettent aux sociétés commerciales d’agir comme des entités autonomes dans le monde des affaires, tout en offrant une protection juridique à leurs fondateurs et investisseurs.

T& Quels textes juridiques régissent les sociétés commerciales au Tchad ?

Me A.Z : Nous avons l’Acte Uniforme Relatif au droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Économique (AUSCGIE) et Décret n°17192/PR/PM/JDH/2015 du 24 août 2015 portant réglementation du capital de la société à responsabilité limitée.

T&C : Quelles sont les étapes et conditions pouvant conduire à la création d’une société ou entreprise au Tchad ?

Me A.Z : Pour créer une société ou une entreprise au Tchad, il est nécessaire de suivre plusieurs étapes et de respecter certaines conditions. Voici un aperçu des principales étapes et exigences ;

Il faut faire l’étude de marché. Ceci consiste à analyser le marché pour évaluer la viabilité de l’idée d’entreprise, à identifier les besoins, la concurrence et les opportunités. L’autre étape consiste au choix du statut juridique. Le porteur du projet doit déterminer le type de société puisque chaque statut a ses propres implications fiscales et juridiques. En effet, les statuts de la société doivent inclure des informations sur la structure, le capital social et les règles de fonctionnement. Dès que cette étape est franchie, il faut disposer le capital social minimum requis selon le type de société choisi et ouvrir un compte bancaire au nom de la société pour y déposer le capital social.

L’enregistrement de l’entreprise se fait à l’Agence Nationale d’Investissement et d’Exportation (ANIE), auprès du Greffier en chef pour y soumettre une demande d’immatriculation du Registre du Commerce et du Crédit mobilier et fournir les documents nécessaires : statuts, plan de localisation de la société, casier judiciaire pour les nationaux et attestation casier judiciaire pour les étrangers, deux photos, déclaration de sincérité ou contrat de bail. Etc. C’est ce qui permettra d’obtenir l’autorisation.  Selon le secteur d’activité réglementé, il faut obtenir les agréments nécessaires notamment les licences commerciales, etc… afin de permettre de s’inscrire auprès des autorités fiscales pour le Numéro d’identification fiscales (NIF)

T&C : Quand interviennent les professionnels de droit (notaire, avocat, magistrats) en matière de droit de société et quel rôle jouent ces professionnels ?

Me A.Z : En matière de droit des sociétés, les professionnels du droit, notamment les notaires, avocats, et magistrats, interviennent à divers stades de la vie d’une société, chacun joue un rôle spécifique en fonction de leurs compétences et du cadre légal. Voici un aperçu de leur intervention et de leurs rôles respectifs :

Le Notaire intervient dans la constitution des sociétés : Le notaire peut intervenir lors de la création d’une société pour authentifier les actes constitutifs (statuts, apports en nature, etc.). Il assure que les actes respectent les normes légales et offre une garantie de sécurité juridique.

Il modifie les statuts. Il intervient tout en authentifiant ces actes, garantissant ainsi leur validité juridique lorsqu’il y a des modifications importantes dans la vie de la société (augmentation de capital, cession de parts sociales, fusion, etc.). Le notaire peut être impliqué dans la rédaction et l’authentification des actes de cession de parts sociales ou d’actions, apportant ainsi une sécurité juridique aux transactions. Le notaire conseille les entrepreneurs sur la forme juridique de la société à adopter, les implications fiscales, ainsi que sur les démarches à suivre pour protéger les intérêts des associés.

L’Avocat intervient lorsqu’un litige survient (conflits entre associés, conflits avec des tiers, etc.), l’avocat représente la société devant les juridictions compétentes. Il peut également intervenir dans le cadre de la médiation ou de l’arbitrage pour résoudre les différends à l’amiable. L’avocat veille à ce que la société respecte les normes légales en matière de droit des sociétés, droit du travail, fiscalité, etc., en fournissant des avis juridiques et en accompagnant la société dans ses démarches administratives.

Les magistrats interviennent principalement dans le cadre du contrôle de la légalité des actes de la société. Cela inclut le jugement des litiges entre associés ou entre la société et des tiers, la vérification de la conformité des décisions prises lors des assemblées générales, et la validation des plans de redressement ou de liquidation. En cas de difficultés économiques, c’est le tribunal de commerce (ou une juridiction équivalente) qui supervise les procédures de redressement judiciaire ou de liquidation, sous la direction d’un juge-commissaire.

Les magistrats peuvent également intervenir dans le cadre de procédures pénales en cas de fraude, de détournement de fonds, ou de toute autre infraction liée à la gestion de la société.

En résumé, le notaire intervient surtout dans les actes juridiques nécessitant une authenticité et une sécurité accrues. L’avocat accompagne et conseille les entreprises tout au long de leur existence, en veillant à la conformité légale et en représentant les intérêts de la société. Le magistrat assure le contrôle juridictionnel, tranche les litiges et intervient dans les procédures judiciaires concernant la société. Ces professionnels sont donc essentiels pour garantir le respect des lois et la sécurité juridique dans les affaires.

T&C : De quelle manière les notaires peuvent assister les sociétés pour une véritable promotion de droit de société (OHADA) dans notre pays ?

Les notaires jouent un rôle crucial dans la promotion et l’application du droit des sociétés, particulièrement dans les pays membres de l’OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires).

Les notaires peuvent organiser des séminaires, ateliers, et formations pour les entrepreneurs, les cadres d’entreprise, et même les étudiants en droit, afin de vulgariser les principes du droit des sociétés en droit OHADA.

En rédigeant et diffusant des ouvrages, des brochures explicatives, ou des guides pratiques sur les procédures de création, de gestion, et de liquidation des sociétés selon le droit OHADA, les notaires peuvent mieux informer les acteurs économiques sur leurs droits et obligations.

Le notaire peut conseiller les entrepreneurs sur le choix de la forme juridique la plus appropriée à leurs besoins, que ce soit une SARL, SA, ou une autre forme prévue par l’OHADA, en tenant compte des implications fiscales, sociales, et juridiques. Le notaire intervient par la rédaction et l’authentification des statuts de la société, assurant leur conformité avec les dispositions de l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE. Cette intervention garantit la sécurité juridique des actes fondateurs. Il intervient lorsqu’une entreprise souhaite changer de forme juridique ou fusionner avec une autre, le notaire assure que toutes les étapes de transformation sont en accord avec le cadre légal OHADA, protégeant ainsi les intérêts des associés et des tiers.

En authentifiant les actes liés à la vie de la société (augmentation de capital, cession de parts, fusion, etc.), le notaire veille à ce que ces actes soient conformes aux exigences du droit OHADA, et cela réduit les risques de litiges futurs. Le notaire peut également jouer un rôle de médiateur dans les conflits entre associés, en proposant des solutions conformes au droit OHADA et en rédigeant des accords transactionnels. Lors de fusions ou d’acquisitions, le notaire peut sécuriser les transactions en s’assurant que toutes les étapes légales sont respectées, conformément au droit OHADA. Il peut également rédiger les actes nécessaires à la réalisation de ces opérations. En cas de cessation d’activité, le notaire guide la société à travers la procédure de liquidation volontaire, en s’assurant que les intérêts des créanciers et des associés sont protégés, conformément aux dispositions de l’Acte Uniforme OHADA.

Les notaires peuvent contribuer à l’évolution du droit OHADA en participant aux consultations publiques et en soumettant des propositions lors des révisions des Actes Uniformes.

En collaborant avec les chambres de commerce, les institutions judiciaires, et les universités, les notaires peuvent aider à harmoniser les pratiques et à assurer une application cohérente du droit des sociétés OHADA à travers le pays.

Les notaires sont des acteurs clés dans la promotion du droit des sociétés OHADA. Par leur expertise, leur rôle de conseil, et leur capacité à sécuriser les opérations juridiques, ils contribuent à créer un environnement propice au développement des entreprises et à la sécurité des transactions. Leur action est essentielle pour une application rigoureuse et harmonisée du droit des sociétés dans les pays membres de l’OHADA, favorisant ainsi un climat des affaires stable et attractif.

T&C : Qui rédige les statuts et les contrats des sociétés ?

Me A.Z : La rédaction des statuts et des contrats des sociétés peut être réalisée par différents professionnels, selon la nature de l’acte et le cadre juridique applicable.

T&C :Quel est l’intérêt du journal d’annonces légales pour les sociétés ?

Me A.Z : Le journal d’annonces légales est essentiel pour assurer la transparence, la conformité légale, et la protection des tiers, tout en contribuant à la prévention des fraudes et à la documentation officielle des actes de société.

T&C : Quels conseils donnerez-vous à tous ceux qui aspirent à créer des entreprises et les gérants d’entreprises ?

Me A.Z : En tant que notaire, voici quelques conseils que je donnerais aux aspirants créateurs d’entreprises et aux gérants d’entreprises pour tirer pleinement parti des services notariaux et garantir le bon démarrage et la bonne gestion de leurs sociétés. Avant de créer une entreprise, consultez un notaire pour obtenir des conseils sur la structure juridique la plus adaptée à votre projet (SARL, SA, SAS, etc.). Le notaire peut vous aider à choisir la forme juridique qui correspond le mieux à vos objectifs et à vos besoins. Il peut vous rédiger et authentifier les statuts de la société, Les actes importants tels que les contrats de cession de parts sociales, augmentation de capital et les fusions tout en assurant leur conformité avec la législation en vigueur et garantissant leur validité juridique.

Utilisez les services du notaire pour publier les actes nécessaires dans les journaux d’annonces légales, ce qui est souvent une obligation légale. Cela permet de rendre les actes opposables aux tiers et de garantir leur reconnaissance officielle.

Le notaire aide à identifier et à gérer les risques juridiques potentiels en fournissant des conseils sur la conformité réglementaire et les obligations légales. Tout en vous assurant que les documents importants sont correctement archivés et conservés, conformément aux exigences légales et pour une consultation future en cas de besoin, le notaire peut vous aider à mettre en place des mécanismes juridiques pour faciliter la transmission de votre entreprise en cas de départ ou de décès. Enfin, le notaire ne devrait pas être consulté uniquement lors de la création de l’entreprise, mais également en cas de changements importants ou de questions juridiques. Maintenez une relation continue pour bénéficier des conseils adaptés à l’évolution de votre entreprise.

Le notaire est un partenaire précieux pour assurer la création, la gestion, et la pérennité des entreprises. En consultant un notaire dès le début et en le sollicitant pour des conseils réguliers, les créateurs et les gérants d’entreprises peuvent sécuriser leurs opérations, se conformer aux exigences légales, et protéger efficacement leurs intérêts et ceux de leur société.

Interview réalisée par Saturnin ASNAN NON-DOUM